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Inquiétudes concernant le Traité de l’OMS sur les pandémies pendant l’OINB7

Voici une lettre envoyée au ministre fédéral de la santé, Mark Holland par des organisations syndicales québécoises et canadiennes qui sont affiliées à l’Internationale des Services publics qui représente les travailleuses et travailleurs du secteur de la santé. 

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Monsieur le Ministre,

Nous vous écrivons au nom des organisations syndicales québécoises et canadiennes qui sont affiliées à l’Internationale des Services publics qui représente les travailleuses et travailleurs du secteur de la santé. Collectivement, nous représentons plus de 500 000 travailleuses et travailleurs qui fournissent des services dans tous les aspects du secteur de la santé et des services sociaux.

Notre syndicat participe au processus de l’organe intergouvernemental de négociation (OIN) afin de rédiger et négocier un accord international sur la prévention, la préparation et l’intervention en cas de pandémie, intitulé Traité de l’OMS sur les pandémies. Nous avons effectué ce travail avec le soutien de l’Internationale des Services Publics (ISP), la fédération syndicale internationale représentant les travailleuses et travailleurs des services publics, de la santé et des soins à travers le monde, à laquelle nous sommes affiliés.

Nous sommes préoccupés par le fait que la première session du septième cycle de discussion de l’OIN (OIN7) qui s’est tenue du 6 au 10 novembre ne progresse pas de manière adéquate sur les priorités clés pour les travailleuses et travailleurs de la santé et des soins. Nous demandons instamment à votre ministère d’aborder les points partagés ci-dessous lors des prochaines sessions de l’OIN.

En outre, nous sollicitons un rendez-vous avec vous pour faire le point sur les résultats de l’OIN7. Avec votre soutien, ce futur instrument s’appuiera sur les enseignements et l’expérience des travailleuses et travailleurs de la santé et des soins qui étaient en première ligne lors de la pandémie de Covid-19.

DÉFENDRE LE DROIT À UN TRAVAIL DÉCENT POUR LES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS DE LA SANTÉ ET DES SOINS
Si nous nous félicitons de l’inclusion d’un article sur le personnel de santé et de soins dans le projet actuel de texte de négociation, nous sommes déçus par ses progrès limités. Des travailleuses et travailleurs en sécurité sauvent des vies, et pourtant, la formulation qui donnait la priorité à un équipement de protection adéquat pour les travailleuses et travailleurs de santé de première ligne pendant les pandémies dans les projets antérieurs à cette phase de négociation a été supprimée. Il est impératif que les pays reconnaissent le travail crucial effectué par les travailleuses et travailleurs de première ligne pendant la pandémie et l’intègrent dans l’accord international (à l’Article 7), afin de préserver la vie et la santé des travailleuses et travailleurs de la santé en cas de futures urgences sanitaires.

En outre, le projet actuel ne contient pas de dispositions substantielles qui garantissent un travail décent à tous les travailleuses et travailleurs de la santé et des soins, protègent leur santé et leur sécurité et reconnaissent le rôle essentiel des travailleurs.euses de la santé et des soins de première ligne et des travailleurs.euses migrant.e.s.

Nous recommandons :
● D’inclure dans l’Article 1 une définition large du personnel de santé et de soins qui incorpore tous les travailleuses et travailleurs désignés comme travailleuses et travailleurs de la santé par la classification internationale type des professions (CITP) utilisée par l’OMS.
● Le travail décent devrait également être intégré à l’Article 3 en tant que principe directeur à suivre lors de l’élaboration, de la planification et de la mise en oeuvre de toute mesure liée à la préparation, à la prévention et à la réponse à une future pandémie.
● L’Article 7 doit inclure des dispositions qui garantissent et protègent les droits du travail du personnel de santé et de soins, y compris en référence aux Conventions C87 et C98 de l’OIT.
● L’Article 7 doit garantir des ratios personnel-patient sûrs et d’autres normes minimales de travail et d’emploi, comme indiqué dans la Convention C149 de l’OIT sur le personnel infirmier et la Réunion tripartite de l’OIT de 2017 sur l’amélioration des conditions d’emploi et de travail dans les services de santé.
● L’inclusion d’une disposition relative à la hiérarchisation des mesures de sécurité et de santé au travail à l’Article 3 (principes directeurs), y compris une référence à la Convention C155 de l’OIT et à la Recommandation R164.
● L’inclusion du principe de précaution à l’Article 3 en tant que principe directeur, et une formulation substantielle à l’Article 7 afin que le principe de précaution soit appliqué lorsque les relations de cause à effet ne sont pas entièrement établies scientifiquement et qu’il peut y avoir des menaces de dommages pour la santé humaine ou l’environnement, en particulier dans la fourniture de services de santé et de soins pendant les pandémies.
● L’inclusion à l’Article 7 de dispositions relatives aux blessures, séquelles ou décès des travailleuses et travailleurs de la santé et des soins, ainsi que de leurs familles, lors d’une intervention en cas de pandémie.
● L’inclusion de clauses (à l’Article 7) qui rendent les pays d’origine et de destination responsables de la protection des travailleuses et travailleurs migrants et des systèmes de santé des pays d’origine.

ASSURER LE FINANCEMENT PUBLIC DES BIENS PUBLICS
Afin de mettre en place un système d’innovation mondial solide, juste et équitable qui génère des technologies de la santé abordables et opportunes, nous devons considérer les technologies de la santé (contre-mesures médicales) comme des biens publics. L’Article 9.4 devrait garantir que tous les produits de santé, technologies, savoir-faire, etc., issus de programmes de recherche financés par le secteur public, restent dans le domaine public et ne peuvent être brevetés.
● Les fabricants de technologies développées à l’aide de fonds publics doivent fournir les contre-mesures médicales qui en résultent, sans profit ni perte, dès l’annonce d’une catastrophe écologique majeure.
● Cette règle devrait s’appliquer quelle que soit l’ampleur du financement public.

La pandémie de Covid-19 a montré que nous ne pouvons pas nous fier aux accords volontaires que le secteur privé promeut. Nous avons besoin de mesures obligatoires pour garantir la transparence des coûts de R&D et des futurs contrats publics signés avec des entreprises privées. Un projet antérieur (l’avant-projet zéro) prévoyait des mesures obligatoires pour les laboratoires qui reçoivent des fonds publics pour la R&D en matière de contre-mesures pandémiques, afin de divulguer les prix et les conditions contractuelles des marchés publics (Article 9.3.b). Toutefois, cette mesure – la seule qui créait une obligation pour les entreprises privées – a été supprimée. Elle devrait être réintroduite.

RENONCER AUX DROITS DE BREVET DANS TOUS LES CAS D’URGENCE EN MATIÈRE DE SANTÉ PUBLIQUE
La pandémie de COVID-19 a montré une fois de plus que le maintien des privilèges de la propriété intellectuelle pendant une crise sanitaire génère une pénurie artificielle et des prix élevés, coûtant des centaines de milliers de vies, en particulier dans les pays du Sud global. Nous ne pouvons pas vivre une autre urgence sanitaire en naturalisant les monopoles et en nous reposant sur des solutions volontaires. Le texte doit inclure un mécanisme contraignant et automatique de renonciation aux droits de propriété intellectuelle pour les technologies liées à la gestion d’une telle urgence immédiatement après la déclaration d’une USPPI (à l’Article 11.3.(a)). En outre, le futur instrument devrait encourager les pays à mettre en place des mécanismes similaires au niveau national.

En outre, les pays s’inquiètent de la mise en oeuvre unilatérale de dérogations limitées dans le temps en raison de la menace d’une action en justice. Cette question avait été abordée dans une version antérieure du texte qui mentionnait que les parties ne pouvaient pas contester ces mesures. Nous recommandons que ce texte soit réintroduit dans l’Article 11.3.(a). De même, le texte qui empêche les gouvernements prêts à mettre en place des mesures obligatoires sans le consentement des détenteurs de brevets et/ou d’autres droits de propriété intellectuelle (c’est-à-dire « à des conditions convenues d’un commun accord ») devrait être supprimé du projet de texte.

Enfin, nous recommandons l’inclusion de dispositions relatives à la révision des accords de libre-échange pertinents afin de supprimer les mesures ADPIC-plus, telles que la protection des données, la liaison, l’extension de la durée des brevets, entre autres.

VEILLER À CE QUE TOUT LE MONDE BÉNÉFICIE DES AVANTAGES
L’inclusion d’un système d’Accès aux Agents Pathogènes et de Bénéfices Partagés (système PABS, à l’Article 12) est une leçon importante tirée des erreurs de la réponse mondiale à la pandémie de Covid-19. Cependant, nous sommes préoccupés par le fait que les éléments concrets de ce système ne sont pas abordés et nous craignons qu’une telle lacune ne vide de son sens cet effort important. Nous demandons instamment aux gouvernements de maintenir le même calendrier pour le système PABS que pour le reste du traité.

Nous demandons que des obligations monétaires et non monétaires soient imposées aux bénéficiaires des données sur les agents pathogènes et que les gouvernements assument la responsabilité de veiller à ce que ces engagements soient respectés. Nous saluons l’obligation faite aux bénéficiaires de fournir à l’OMS un accès en temps réel aux produits liés à la pandémie, bien que cette obligation doive être fondée sur un minimum plus élevé (actuellement fixé à un minimum de 20 %), ainsi que sur une répartition appropriée fondée sur une évaluation continue de l’évolution des risques et des besoins en matière de santé publique. En outre, les trois sous-sections de l’Article 12.4 (c) devraient être révisées pour devenir des conditions obligatoires de partage des avantages pour les bénéficiaires.

RENFORCER LES SYSTÈMES DE SANTÉ POUR PRÉVENIR LES URGENCES SANITAIRES
La prévention, la préparation et la réponse aux pandémies nécessitent une structure financière mondiale qui garantisse que tous les pays disposent de ressources suffisantes à injecter dans la mise en place de systèmes de santé publique solides et universels. Nous sommes préoccupés par la faiblesse du langage sur le financement. Le texte devrait inclure le principe de solidarité et un engagement en faveur d’un ordre international équitable (à l’Article 3), ainsi que des dispositions en faveur de l’équité dans le financement de la prévention, de la préparation et de la riposte aux pandémies.

En outre, l’OIT a souligné le rôle du dialogue social dans le renforcement des services publics, y compris les systèmes de santé publique1 . Le document de la Commission européenne2 souligne également que « le dialogue social est un outil essentiel pour une gestion équilibrée des crises et pour trouver des politiques efficaces d’atténuation et de relance » et que « l’expérience montre que le dialogue social contribue à une gestion efficace des crises ». L’Article 6 devrait enjoindre aux acteurs concernés de s’engager dans le dialogue social et aux gouvernements de garantir la participation active des syndicats et des travailleuses et travailleurs tant dans la planification que dans la réponse à apporter pendant une situation d’urgence et en dehors d’une pandémie.

INCLUSION DE LA CRISE CLIMATIQUE
Nous recommandons fortement d’inclure la crise climatique comme une priorité centrale à considérer dans tous les programmes de préparation et de réponse aux pandémies et aux risques. Nous recommandons en outre fortement de donner la priorité à l’amélioration de la résilience des soins de santé en prévision de la crise climatique actuelle. Dans l’avant-projet du traité sur la pandémie, le projet « Article 5.A. Renforcer la prévention et la préparation aux pandémies grâce à une approche « Une seule santé » était le seul article à mentionner le changement climatique. Toutefois, l’article 5.A ne figure plus dans le projet actuel. Nous encourageons fortement son inclusion en utilisant des termes beaucoup plus forts quant à la préparation aux risques sanitaires dans le contexte de la crise climatique actuelle. Notre système de santé actuel n’est pas préparé à répondre aux dangers actuels et futurs créés par la crise climatique actuelle. Le traité sur la pandémie offre l’occasion de demander des comptes aux gouvernements pour qu’ils investissent dans des programmes qui amélioreraient la résilience de nos infrastructures de soins de santé, protégeraient le personnel soignant lors de catastrophes climatiques et soutiendraient la recherche sur les impacts du changement climatique sur la santé.

Nous exhortons les négociateurs à intégrer la crise climatique (et plus particulièrement les catastrophes météorologiques extrêmes provoquées par le changement climatique) comme un danger qui nécessite attention et financement. Nous encourageons les négociateurs à inclure la création de programmes de financement pour investir dans des projets de construction afin d’améliorer la résilience et l’atténuation des risques de catastrophe de notre infrastructure de soins de santé. Enfin, nous exhortons les négociateurs à exiger des investissements dans des programmes de santé et de sécurité au travail et une prime de risque pour les travailleurs de la santé lors de tout événement météorologique extrême.

Les négociations entrent maintenant dans une phase clé. Nous comptons sur votre soutien et restons à votre disposition pour toute question.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.